TOME 1 : AREMORIKA

IIIe siècle avant notre ère, territoires celtes.

Des bandits arrachent ses yeux au druide vénète Branogenos. Il part en quête d’un improbable remède, accompagné d’un géant simplet, d’un adolescent maladif et d’un guerrier muet. Le groupe s’enfonce dans la Grande Forêt obscure.

Kukullos le druide cagoulé remonte vers le nord avec son convoi de marchandises et de guerriers. Il escorte un prince obèse et son mystérieux trésor vers les royaumes au-delà des mers. Mais la trahison guette.

Les neuf druidesses de Sena préparent les cérémonies secrètes du Nouvel An. Atmarda la novice découvre son incroyable don de métamorphose et suscite déjà de dangereuses convoitises.

Quel destin attire irrésistiblement ces trois êtres à l’ouest d’Aremorika ?

Quelques extraits d’Aremorika pour patienter :

extrait 2 

— Le voyage ne sera pas de tout repos. Nous ne savons pas où nous allons ni quand nous reviendrons, si jamais nous revenons un jour au village. Alors, pourquoi veux-tu nous accompagner ?

L’esprit de Moritès se brouillait sous l’effet conjugué de la douleur, de la fatigue et de l’interrogatoire de Branogenos. Le jeune homme se rallongea et ferma les yeux :

— Je veux devenir un homme, vivre des aventures. Je veux m’endurcir, retrouver la santé. Maman m’a dit que là où nous irons, l’air sera frais. Elle n’a plus de quoi me nourrir et je mourrai de désespoir et d’ennui si je reste au village. Et je veux aussi apprendre à me battre et… j’oubliais, je veux vous aider à redevenir notre druide.

— Je suis infiniment touché, Moritès, même si ta motivation à mon égard pue la politesse à plein nez. Ai-je une chance de te faire changer d’avis ?

— Non.

— Tu es chétif et pourtant tu devras peut-être rester sans manger pendant plusieurs jours. Alors ?

— Je reste.

— Tu devras monter la garde, apprendre à chasser, faire à manger. Alors ?

— Je reste.

— Tu devras m’obéir aveuglément sauf si je te demande de te tuer. Alors ?

— Je reste.

— Tu devras peut-être lutter contre des esprits ou des korroï malicieux. Alors ?

— Je reste.

— Tu devras me porter si les deux autres sont absents même si je fais deux fois ton poids et que j’ai bien l’intention de grossir encore. Alors ?

— Je reste.

— Bien. Tu es aussi causant que Kamox et aussi buté que Kraktos. Nous ferons quelque chose de toi. Quoi ? Je ne sais pas encore.

extrait 4

Ils se ressemblaient beaucoup. Aussi barbus et chamailleurs l’un que l’autre. Aussi grands, de leur point de vue. Presque la taille d’une main humaine. Ils portaient tous deux des vêtements en laine de multos, le mouton sylvestre, qui absorbait la lumière et les rendait invisibles en forêt.

Le plus actif, Tetew, avait des cheveux et une barbe mal lavés qui rappelaient de la vieille filasse. Il montrait un certain embonpoint. Les pattes-d’oie du bon vivant ridaient ses yeux pétillants de malice. Sa langue roulait souvent toute seule dans sa bouche, en prévision de son prochain repas ou de sa prochaine chopine de bière de saule. Ses joues rouges, son sourire généreux et son allure bonhomme attendrissaient les cœurs les plus endurcis. À part Mwemwen, qui n’avait pas de cœur.  

Mwemwen consommait tellement d’énergie à fulminer qu’il était maigre comme un clou. Son visage émacié supportait une bouche minuscule où l’humour ne se posait jamais. Soucieux, inquiet, toujours sur ses gardes, Mwemwen ne comprenait pas qu’un être aussi écervelé que le gros Tetew pût survivre dans ce monde sauvage et pervers. Mwemwen soignait son apparence, et tout particulièrement sa barbe, séparée en deux admirables touffes en forme de cornes de bélier maintenues par d’invisibles lanières d’aulne. Il aspergeait d’une subtile essence de chèvrefeuille sa chevelure à la raie parfaitement au milieu.

extrait 5

 L’aveugle sentait l’agacement et la soif de combat chez les Osismes, chez Kamox et chez Kraktos aussi, qui n’avait pas fait craquer d’os depuis une éternité de plusieurs jours. Mais si combat il y avait, les deux guerriers seraient submergés, Moritès égorgé et Branogenos ne survivrait pas longtemps, rongé par le désespoir.

De la main, il éloigna Vindos, son compagnon à plumes, et chuchota quelques mots à l’oreille de Kraktos. Les branches frémirent sur le pourtour de la clairière. Les archers bandèrent leur arc. L’homme à la barbe rousse, les yeux bandés, vêtu d’une ample robe brune, émergea des fourrés à tâtons.

— Bienvenue à toi, dit l’individu doré. Quelle originalité de se bander les yeux dans une forêt inconnue ! Qui êtes-vous et que voulez-vous ? 

Branogenos hésitait à dire la vérité. Lui, naguère si confiant, découvrait une part sombre tapie au plus profond de lui-même, gorgée de peur et de doute envers son prochain.

— Merci pour ton accueil, homme doré. Je m’appelle Dallos1 depuis que des malandrins m’ont ôté la vue. Avec mon serviteur, nous errons dans la forêt à la recherche d’un coin plus hospitalier que le village dont on nous a chassés. 

— Ta langue bien pendue me parlera-t-elle de l’homme au fouet ? Car à moins que tu ne sois magicien, je n’imagine pas un aveugle jouer ainsi du fouet.

Les guerriers osismes éclatèrent de rire. S’ils savaient se battre au javelot et au glaive, ils savaient aussi reconnaître que personne ne rivalisait avec leur maître dans les joutes verbales.

Branogenos ne perdit pas son aplomb :

— Mon camarade vient des lointaines contrées du sud au-delà des mers. Il a vécu trop longtemps emprisonné pour se priver de sa liberté. 

— Voilà qui va compliquer notre affaire, messire Dallos à la barbe rouge. Disposez-vous d’autres hommes ? Prenez votre temps. Parfois, la mémoire flanche avec l’âge. Ne jouez pas avec nous. Mes hommes ne sont pas très joueurs…

— Kraktos, sors de là. Le jeu est fini. Viens vite, à la Papa Borvo.

Le visage de l’homme doré se durcit et ses yeux s’étrécirent de méfiance.

— Quelle est cette embrouille ? C’est quoi ce message codé « à la Papa Borvo » ?

— Vous allez voir. Kraktos a moins d’esprit que vous ou moi et il préfère les formules toutes faites. Son Papa, Borvo, mon frère, qui me l’a confié afin d’en parfaire l’éducation, est d’un naturel impatient. L’expression « à la Papa Borvo » signifie donc rapidement. Voilà…

L’homme doré doutait de l’explication tarabiscotée mais il se détendit lorsque les plus proches fourrés s’agitèrent avec frénésie, comme habités par un ours. Ses guerriers poussèrent un cri de surprise et d’admiration devant la taille de Kraktos et de sa massue.

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1 Dallos = aveugle

Présentation générale du monde d’Aremorika